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Cameroun : avec Amadou Vamoulké, la justice marche sur la tête [Jeune Afrique]

Malade et affaibli, l’ancien chef de la Cameroon Radio Television a vu son procès reporté pour la 68e fois. Détenu depuis près de cinq ans sans avoir été jugé, il continue de lutter pour sa libération. Retour sur la descente aux enfers d’un ancien pilier du système Biya.

Son cas est devenu le symbole de la lutte pour la défense des droits des journalistes à travers le monde, mais aussi la parfaite illustration de l’absurdité d’un système judiciaire dont les décisions suscitent interrogations et incompréhensions. À 71 ans, Amadou Vamoulké est entré dans les annales de l’histoire du Cameroun lorsque son procès a été reporté pour la 68e fois après cinq ans de détention provisoire. Un triste record dont le pensionnaire du local 184 de la prison centrale de Kondengui, à Yaoundé, se serait volontiers passé.

« Pièce inédite »

 Le 28 mai, l’ancien directeur de la radio-télévision publique camerounaise apparaissait pourtant confiant devant les juges du Tribunal criminel spécial (TCS), devant lequel il est inculpé pour « détournement de fonds publics » (près de six millions d’euros, selon l’accusation). Vêtu d’une de ses traditionnelles gandouras, d’une écharpe violette et d’une checha noir, il était pour l’occasion entouré d’un collège d’avocats comprenant, outre Alice Nkom, qui le défend depuis son arrestation le 29 juillet 2016, les Français Fabrice Epstein et Benjamin Chouai. Ces derniers ont été dépêchés à Yaoundé par les nombreux soutiens du journaliste.

Au cours de cette 67e comparution, Epstein et Chouai espéraient présenter une « pièce inédite » du dossier au tribunal afin de démonter l’accusation : quatre arrêts de la justice française retenus contre Joël Bella Belinga, l’expert désigné par la Cameroon Radio Television (CRTV) pour surveiller la gestion de l’entreprise sous l’ère Vamoulké (2005-2016). Le rapport d’audit de ce comptable est la seule pièce sur laquelle se fonde l’accusation et les décisions françaises lui ôtent toute crédibilité. Problème : les quatre jugements en question ont beau être soumis au président du tribunal de première instance du Mfoundi pour authentification depuis le 19 mai 2021, ils n’avaient toujours pas été acheminés au TCS le 28 mai. Conséquence : un nouveau report, le temps de les authentifier et de les transférer aux juges du TCS.

Le rapport qui inculpe Vamoulké a été réalisé par un comptable non assermenté qui n’est pas compétent

 « Les autorités camerounaises multiplient les reports, s’offusque l’avocat Fabrice Epstein auprès de Jeune Afrique. Depuis le début de la procédure, 80 % ou 85 % des reports sont dus à l’accusation. Amadou Vamoulké en est à 68 comparutions. Parmi les personnes citées dans cette affaire, il est le seul à être encore détenu aujourd’hui. Il est resté onze ans à la tête de la CRTV et le rapport qui l’inculpe a été réalisé en deux ou trois mois par un comptable non assermenté qui n’est pas compétent… Ce n’est ni raisonnable ni normal. »

Agacement croissant

Une exaspération ressentie également par les organisations de défense des droits des journalistes, au sein desquelles on manifeste un agacement croissant face à cette procédure interminable. « Le code pénal limite à dix-huit mois la durée de la détention provisoire, affirme Arnaud Froger, chef du département Afrique de l’ONG Reporters sans frontières (RSF). Rien ne justifie ce maintien en détention. C’est arbitraire et nous ne sommes pas les seuls à le dire. Il y a clairement quelque chose derrière, ce n’est pas seulement une partie de l’opération Épervier. »

La trajectoire de l’ancien haut responsable de l’administration, membre du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) depuis sa création en 1985, ne laissait pourtant pas présager pareille disgrâce.

Au Cameroon Tribune, il laisse le souvenir d’un professionnel exigeant et insensible aux pressions

 Né en 1950, Amadou Vamoulké est un pur produit du lycée général Leclerc, principal établissement secondaire du pays dans les années 1960 et pépinière de futurs cadres du Cameroun indépendant. Dès 1971, le natif de Gobo, dans la région de l’Extrême-Nord, intègre la deuxième promotion de l’École supérieure internationale de journalisme de Yaoundé (Esijy), alors dirigée par le Français Hervé Bourges. Cette formation, qu’il achève en 1974, lui ouvre les portes du quotidien national Cameroon Tribune, où il travaillera pendant dix ans.

Amadou Vamoulké y laisse le souvenir d’un professionnel exigeant et insensible aux pressions. « J’avais écrit un article critique à l’égard de certaines orientations gouvernementales concernant la lutte contre le chômage et le lui ai envoyé, se souvient l’ancien secrétaire général à la présidence, Jean-Marie Atangana Mebara. Il a quand même décidé de le publier intégralement dans le journal gouvernemental. »

À la tête de l’Imprimerie nationale

L’année 1984 marque un tournant dans sa carrière. Deux années après son arrivée au pouvoir, Paul Biya est victime d’une tentative de coup d’État attribué aux ressortissants du Nord et aux proches de l’ancien président Amadou Ahidjo. Un climat de suspicion s’installe dans la capitale et le jeune dirigeant fait la revue de ses soutiens. Musulman, Amadou Vamoulké se fait remarquer en signant un éditorial titré : « L’unité nationale a triomphé ».

Cherche-t-il à se prémunir de la purge qui s’ensuit ? Vamoulké n’échappe pas aux soupçons qui pèsent contre l’ensemble des Nordistes, mais cela ne dissuade pas Paul Biya de le nommer quelques mois plus tard à la tête de l’Imprimerie nationale. Et, un an plus tard, au sein du Comité central du RDPC qui vient d’être créé pour remplacer l’Union nationale camerounaise (UNC) d’Ahmadou Ahidjo.

En 1994, Vamoulké finit par démissionner de la direction de l’entreprise d’État en raison de la grave crise économique qui l’affecte – un fait rare dans le microcosme camerounais. Il rejoint le secteur privé et travaille aux côtés de l’industriel James Onobiono, patron de la Sitabac et grand financier du RDPC. Il a beau avoir quitté les salles de rédaction, ses anciens pairs le portent, en octobre 1996, à la tête de l’Union des journalistes du Cameroun (UJC), créée dans le but de défendre les intérêts de la profession et de la structurer. Et lorsqu’il faut trouver un remplaçant à Gervais Mendo Ze à la tête de la CRTV, en 2005, c’est encore son nom qui est chuchoté à l’oreille de Paul Biya.

 «Le président cherchait quelqu’un qui évolue à l’extérieur de la CRTV, une personnalité qui ne serait pas partie prenante dans les querelles internes et qui ne serait ni “l’homme de Mendo Ze” ni le chef de file de son opposition », rapporte un ancien collaborateur du président. Vamoulké accepte. « Il s’est toujours dit prêt à être utile pour le pays si le chef de l’État pensait qu’il pouvait remplir une fonction », explique un de ses proches.

C’était un homme d’une grande culture, mais il pouvait être cassant

 La CRTV est alors un panier de crabes. Et son envie de réformer ce mastodonte de plus de 2 000 employés se heurte à de nombreuses résistances. S’ensuit une guerre des réseaux, à coups de limogeages et de lettres de protestation, le tout sur fond de rivalités exacerbées entre Nordistes et Sudistes. « C’était un homme d’une grande culture, mais il pouvait être cassant et il avait du mal à arrondir les angles dans ses échanges avec les autres », reconnaît l’un de ses proches. « Compte tenu de ses qualités […], il aurait certainement fait un meilleur ministre des Arts et de la Culture ou même de la Communication qu’un directeur général de la CRTV », écrira à son sujet Jean-Marie Atangana Mebara dans Le Secrétaire général de la présidence de la République : mythes et réalités.

«Monsieur Propre »

Le 29 juin 2016, Amadou Vamoulké est débarqué. Charles Ndongo, l’ancien directeur de l’information dont Vamoulké avait critiqué « l’incompétence » et réclamé la tête, le remplace à la direction de la CRTV. En juillet, Vamoulké est arrêté et incarcéré. Ses mésaventures judiciaires sont-elles la conséquence directe « des inimitiés qu’il s’est créées en voulant faire correctement son travail », comme l’affirme son entourage ? « Sur le fond du dossier il n’y a pas grand-chose, voire rien du tout », insistent les responsables de RSF, qui sont allés plaider sa cause jusque devant l’ONU en saisissant le groupe de travail sur la détention arbitraire.

 Si sa libération se heurte à un blocage, ce n’est même pas du fait du président Biya

«Toutes les personnes que vous interrogez au Cameroun vous parlent d’un homme intègre, que l’on surnommait “monsieur Propre”, poursuit Arnaud Froger. Le sentiment que nous avons maintenant, c’est que les autorités camerounaises ne savent plus trop comment s’en sortir et que, si sa libération se heurte à un blocage alors qu’elle serait justifiée du fait de son âge, de son état de santé et de la faiblesse des charges, ce n’est même pas du fait du président Biya. »

Incarcéré et malade, Amadou Vamoulké n’a rien perdu de sa verve. Depuis sa cellule, il a écrit au ministre de la Justice, Laurent Esso, le 30 mars dernier. « Vous m’avez déclaré la guerre, lui a-t-il lancé. Je serais étonné que dans ce département du Mayo Danay dont je suis originaire, quelqu’un ne vous rappelle pas un jour de manière appropriée – et je l’espère proportionnée – que vous avez outrepassé votre pouvoir en dépassant toutes les bornes de l’inhumanité. »

 

 

Source: Jeune Afrique