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Cameroun : « je ne suis pas sûr qu’attendre l’après-Biya aboutisse à un changement», Maurice kamto, se confie au journal Le Monde

Maurice kamto

Maurice Kamto continue de clamer sa victoire à la présidentielle de 2018 au Cameroun. Avec les risques que cela comporte. Il a depuis été emprisonné, assigné à résidence et au moins 124 de ses militants sont détenus sans jugement depuis un an. Ancien ministre délégué à la justice de son pays, M. Kamto n’avait « pas besoin de la politique pour [s]’accomplir ». de passage à Paris, n’a pas été reçu par

Et même si, à Paris, la diplomatie française ne le reçoit plus, l’opposant maintient sa ligne : « Ne pas rester les bras croisés en regardant la déliquescence du pays et en attendant l’après-Paul Biya » qui, à 88 ans, dirige le Cameroun depuis bientôt 39 ans.

Quel constat faites-vous de l’état du Cameroun ?

Depuis trois ans, nous n’avons fait de progrès sur aucun front. Sur le plan sécuritaire, le pouvoir a voulu continuer à faire croire que la situation était sous contrôle dans les régions anglophones [plongées depuis 2017 dans un conflit opposant armée et séparatistes]. Ce n’est de toute évidence pas le cas.

Au moins quinze soldats ont été tués dans une seule attaque le 16 septembre. Le ministre de la défense a reconnu que les sécessionnistes ont désormais des équipements qui n’ont plus rien à voir avec ce qu’ils avaient avant. Les tueries continuent parce que l’on ne s’est jamais attaqué aux causes de la guerre.

 

Je suis de ceux qui, dès le début, ont attiré l’attention sur la nécessité urgente d’un règlement politique. Ce qui a été fait en 2019 avec l’accompagnement et l’enthousiasme de certains partenaires et qu’on a appelé le « grand dialogue national » n’a été qu’une mascarade. Tout le monde l’admet aujourd’hui. On a repris l’idée que j’avais émise d’octroyer un statut spécial aux régions anglophones. A l’époque, personne ne m’avait écouté, mais quand ils ont ressorti ça, l’idée était dépassée. Lorsque des gens ont pris des armes et que le sang a coulé, des solutions qui auraient pu être valables en temps de paix ne le sont plus.

Et sur le plan économique ?

Prenez la dette camerounaise : à 43,5 % du PIB, elle n’est pas insoutenable. Mais à quoi sert l’argent que l’on emprunte ? En 2019, nous devions accueillir la Coupe d’Afrique des nations (CAN) de football. On parlait alors d’un investissement de l’ordre de 3 000 milliards de francs CFA – plus de 4,5 milliards d’euros – pour construire les stades et les infrastructures connexes. Finalement, nous n’avons pas tenu les délais.

Pire : dans le cadre de l’exercice budgétaire 2021, le président a signé une autorisation d’emprunt de 50 milliards pour terminer le stade d’Olembé. Cela signifie que les 3 000 milliards avaient déjà été dépensés pour on ne sait quoi et même avec ces 50 milliards, le stade n’est pas achevé.

En 2021, les bailleurs, pour nous laisser faire face au Covid-19, nous ont fait un différé de trois ans sur le remboursement des intérêts de la dette. Cela représente environ 230 milliards de francs CFA. Là, ce n’est pas l’opposition qui dénonce, mais la chambre des comptes de la Cour suprême qui dit qu’il y a des dépenses injustifiées, des détournements des aides ou des contributions en matériels. Au Cameroun, cela crée une petite agitation et c’est terminé. Il y a comme une résignation populaire face à la manière dont le pays est géré.

N’y a-t-il pas aussi une forme d’atonie internationale à l’égard du Cameroun ?

C’est plus que de l’atonie. Il y a une connivence que je ne comprends pas. Au cours des dix dernières années, je n’ai pas entendu la communauté internationale se prononcer sérieusement sur le Cameroun. La ligne globale, c’est de dire nous préférons la stabilité. Comme si l’alternance au pouvoir était source d’instabilité ! Il faut être en Afrique pour avoir ce type de contorsions intellectuelles.

 

Michelle Bachelet, haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, est venue en 2019. Elle n’a pas mis les pieds dans les zones anglophones. Elle n’a pas demandé à nous voir en prison. Elle a reçu une décoration puis est rentrée en Suisse. Je lève mon chapeau au régime Biya qui est rudement efficace.

Aucun des mécanismes internationaux n’a été utilisé. Le secrétaire général de l’ONU et le président de la commission de l’Union africaine auraient pu nommer un représentant spécial. Ils ne l’ont pas fait. Il y a des pays où il y a infiniment moins de morts pour lesquels la communauté internationale se mobilise. Ici, même en s’en tenant aux chiffres officiels, on est à plus de 3 000 morts, entre 600 000 et 800 000 déplacés.

Avez-vous l’impression d’être tenu à distance par la France ?

Je n’en sais rien. Ce que j’observe c’est qu’il n’y a pas d’empressement à me recevoir. Je ne demande pas à être adoubé, mais je le regrette. Je suis un pragmatique. Il y a un partenaire historique que nous considérons comme un pays ami, qui a des intérêts importants dans mon pays. Donc, je ne peux pas aspirer à diriger le Cameroun sans discuter avec lui, sans qu’il ne me connaisse. Je sais que les acteurs économiques préféreront traiter avec celui qui est là. Mais à partir du moment où nous parlons d’intérêts d’Etats, on doit s’inscrire dans une vision à long terme.

 

Si les Français ne sont pas attentifs aux dynamiques à l’œuvre dans les pays africains, y compris au Cameroun, ils pourront toujours se réveiller après et dire qu’il y a un sentiment anti-français grandissant en Afrique. Mais cela ne tombe pas du ciel. Cela dépend de comment nous gérons cette vaste période de transition, y compris dans les relations entre la France et l’Afrique.

Pourquoi les avocats ont-ils abandonné la défense de vos militants en prison ?

Les avocats ont montré dans un rapport toutes les procédures qu’ils ont engagées et leur issue. Aucune n’a prospéré. Ils ont montré le traitement qui leur a été réservé dans les tribunaux et ont finalement exprimé leur sentiment : puisque cette affaire est politique, elle ne sera pas réglée par le droit et nous ne voulons pas être complices d’une mascarade judiciaire.

Etre opposant au Cameroun, n’est-ce pas être condamné à attendre l’après-Biya ?

Si je raisonnais ainsi, je ne me serais pas engagé en 2012 quand il était en pleine possession de ses moyens. J’ai toujours voulu que le jeu politique ne soit pas basé sur la mort de l’autre, même si beaucoup de Camerounais sont dans une logique d’attente. Ce serait terrible car si on commence avec Biya, il faudra attendre à chaque fois que le dirigeant meure pour espérer accéder au pouvoir.

 

Personnellement, je ne suis pas sûr qu’attendre l’après-Biya aboutisse à un changement. Vous pouvez avoir pire : quelqu’un de jeune, nourri par ce système et qui aura compris qu’on peut conserver le pouvoir par des méthodes irrégulières. J’ai la conviction que l’on peut mener des batailles et avoir des résultats sans attendre la mort de Biya. La meilleure preuve, nous avons gagné l’élection présidentielle en 2018 et M. Biya ne pourra jamais prouver le contraire. (…) Je n’ai pas d’armée, de milice. La seule chose que j’ai ce sont les urnes et la seule chose que je demande aux Camerounais est de s’inscrire sur les listes et d’aller voter.

 

 

Le Monde