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Complexe sportif d’Olembe : comment Magil manœuvre pour empocher tout l’argent sans achever les travaux

L

e 3 janvier 2020, Magil a signé avec le ministère des Sports et de l’Éducation physique du Cameroun un contrat pour l’achèvement du complexe sportif d’Oleme, pour un montant de 54,8 milliards de FCFA hors taxes. Pour le financement du projet, le pays a par la suite obtenu un prêt de 55,2 milliards de FCFA auprès de la Standard Chartered Bank. De cet argent, il ne reste que 15,4 milliards. Des fonds que l’entreprise canadienne réclame pour le règlement de ce qu’elle présente comme des factures impayées. Pourtant, de son propre aveu, les travaux sont loin d’être achevés. D’où les accusations de surfacturation et de double facturation formulées par le ministre des Sports et de l’Éducation physique, qui s’oppose à ce paiement. Pour faire plier Narcisse Mouelle Kombi, Magil, qui rejette ces accusations, multiplie les manœuvres : arrêt des travaux, menace de résiliation du contrat, procédures d’arbitrage, lobbying… Enquête sur un bras de fer.

 
La semaine dernière, la presse a abondamment relayé deux ordonnances de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale de Paris (CCI) rendue dans le litige opposant l’État du Cameroun, représenté par le ministère des Sports et de l’Éducation physique (Minsep), à Magil construction corporation (MCC), au sujet de la réalisation des travaux d’achèvement du complexe sportif d’Olembe. Selon les confidences de plusieurs journalistes qui ont traité ce sujet, l’existence de ces décisions a été révélée à la presse par l’entreprise canadienne, qui tient pourtant à museler l’État du Cameroun sur ce dossier (l’une de ses sollicitations devant la CCI vise à obtenir que « la République du Cameroun cesse toute communication relative à la MCC ou à ses dirigeants… »).
 
Il faut dire que ces deux ordonnances font les affaires de Magil, qui cherche à se faire payer 11 factures litigieuses d’un montant de 15,4 milliards de FCFA. Pour cela, l’entreprise de BTP a déposé une demande d’arbitrage à la CCI le 23 mars 2023, et introduit quelques jours plus tard une requête aux fins de mesures conservatoires. Dans cette procédure d’urgence, MCC, constatant que la période de validité du prêt contracté par l’État du Cameroun auprès de la Standard Chartered Bank (SCB) pour financer les travaux arrive à expiration le 17 avril 2023, a demandé à l’arbitre d’ordonner au maitre d’ouvrage du projet de prendre les mesures pour libérer les fonds encore disponibles sur ce crédit, et de les mettre à sa disposition en vue de leur placement dans sur un compte séquestre en attendant que la procédure de fonds arrive à son terme.
 
Franck Mathière : « À ce jour, l’État du Cameroun a formulé une demande de prolongation de ce prêt auprès de la SCB que cette dernière n’est pas en mesure d’accorder, le Minsep ayant confirmé la présence d’un appel en cours contre la décision rendue le 14 avril 2023 et la situation des paiements de MCC n’étant pas régularisée ».
 
En fait, MCC estime que l’indisponibilité de ce reliquat, comme par hasard du même montant que les factures querellées, compromettrait le recouvrement de ce que l’entreprise canadienne considère comme une créance due. Magil a été suivie par l’arbitre d’urgence, Jean-François Tossens. Dans l’ordonnance rendue le 14 avril 2023, soit trois jours avant la fin de la convention de financement, ce dernier ordonne en effet à l’État du Cameroun de réaliser, le 17 avril 2023 au plus tard, toutes les démarches pour débloquer les fonds encore disponibles du crédit obtenu de la banque londonienne, et de les verser à l’entreprise de BTP en vue de leur placement dans un compte séquestre. Cette injonction est assortie d’une astreinte quotidienne de 13 millions de FCFA, à compter du 17 avril 2023.
 
L’État du Cameroun a également été enjoint à payer les frais de la procédure d’un montant de 40 000 de dollars (23,6 millions de FCFA à la valeur actuelle du dollar) et de rembourser les frais de conseil de MCC fixés à la somme de 26,9 millions de FCFA. Il a, par ailleurs, été interdit à ses représentants impliqués directement ou indirectement dans la procédure d’arbitrage de « divulguer à tout tiers ou de rendre publiques de quelque façon que ce soit toutes informations, pièces ou communications qui ont été ou seront reçues dans le cadre de ladite procédure (…), sauf dans la mesure où cette divulgation ou cette publicité serait imposée à ces représentants par leurs devoirs envers les lois camerounaises et l’État camerounais ».
 
Pour s’opposer à cette décision, le ministère des Sports et de l’Éducation physique a déposé une demande de rétractation de l’ordonnance du 14 avril 2023. Cette requête a été rejetée le 11 juillet 2023. Dans sa décision, l’arbitre d’urgence a par ailleurs ordonné à l’État du Cameroun de prendre en charge les frais de la procédure d’un montant de 7 000 dollars (4,1 millions de FCFA à la valeur actuelle du dollar) et de rembourser les frais de conseil de MCC fixés à la somme de 12,8 millions de FCFA. 
 
Ngoh Ngoh appelé à la rescousse
 
Mais, le Minsep ne lâche pas prise. Narcisse Mouelle Kombi a cette fois introduit un appel contre la décision rendue le 14 avril 2023. Du coup, l’incertitude demeure sur le sort du reliquat du prêt obtenu auprès de Standard Chartered Bank. « À ce jour, l’État du Cameroun a formulé une demande de prolongation de ce prêt auprès de la SCB que cette dernière n’est pas en mesure d’accorder, le Minsep ayant confirmé la présence d’un appel en cours contre la décision rendue le 14 avril 2023 et la situation des paiements de MCC n’étant pas régularisée », peut-on lire dans un courrier confidentiel que le vice-président exécutif de Magil, Franck Mathière, a adressé, le 14 juillet2023, au secrétaire général de la présidence de la République (SGPR), Ferdinand Ngoh Ngoh, par ailleurs ordonnateur du marché d’achèvement du complexe sportif d’Olembe. 
 
Et comme à son habitude lorsque Magil est confronté à la moindre difficulté, le Français appelle le SGPR à la rescousse. « Votre très haute intervention est aujourd’hui nécessaire pour initier la reprise des négociations en vue de concrétiser un accord entre les parties permettant l’achèvement de ce projet emblématique. En effet, seule une entente entre les parties permettra d’obtenir l’abandon de la procédure d’arbitrage, la prorogation du prêt garanti auprès de la SCB, le tout permettant de finaliser les travaux sur le COSO (complexe sportif d’Olembe), infrastructure emblématique de la CAN », écrit-il. 
 
Narcisse Mouelle Kombi : « Cette entreprise a mis en place des stratagèmes pour gonfler artificiellement ses prestations à travers le ralentissement des travaux, leur arrêt pur et simple, des surfacturations, des doubles facturations, la rémunération exponentielle du personnel expatrié (dans la grille salariale annexée au contrat, le salaire mensuel d’un simple secrétaire est de 11 millions de FCFA, NDLR), comme nous l’avons noté dans les réserves accompagnant les décomptes ».
 
L’on ignore si une suite a déjà été donnée à ce courrier. Mais, à la suite de la décision de Magil de résilier le contrat, signifiée au maitre d’ouvrage le 21 décembre 2022, après l’arrêt des travaux intervenu le 31 décembre 2021, des réunions se sont tenues à la présidence de la République sans parvenir à résoudre le problème. D’où la procédure d’arbitrage engagée par MCC, et qui s’avère pour l’instant inefficace. « Bien que ces rencontres se soient déroulées dans les meilleurs termes, nous avons eu le regret de constater lors de la rédaction du procès-verbal relatif aux dites réunions, un blocage systématique du Minsep sur plusieurs points, notamment sur un échéancier de paiement des dettes dues et sur le calendrier de reprise des décomptes en instance, conduisant à un échec des négociations », charge Franck Mathière.
 
Le maitre d’ouvrage justifie son opposition par le fait que les paiements réclamés par Magil ne sont pas justifiés. « Cette entreprise a mis en place des stratagèmes pour gonfler artificiellement ses prestations à travers le ralentissement des travaux, leur arrêt pur et simple, des surfacturations, des doubles facturations, la rémunération exponentielle du personnel expatrié (dans la grille salariale annexée au contrat, le salaire mensuel d’un simple secrétaire est de 11 millions de FCFA, NDLR), comme nous l’avons noté dans les réserves accompagnant les décomptes », accuse le ministre des Sports et de l’Éducation physique, Narcisse Mouelle Kombi, dans une correspondance adressée aux services du Premier ministre, le 3 janvier 2023. 
 
Explosion des coûts
 
À ce jour, MCC estime le coût des travaux déjà réalisés à près de 56 milliards de FCFA. Ce montant est de plus d’un milliard supérieur à la valeur du marché conclu le 3 janvier 2020 avec le Minsep pour achever la construction de l’ensemble des composantes du complexe sportif d’Olembe. Selon ce contrat, dont Investir au Cameroun a obtenu copie, la valeur du marché est de 54,8 milliards de FCFA hors taxe, soit 27,9 milliards pour l’« étape 1 » ; 22,9 milliards pour l’« étape 2 » et 4 milliards de « contingence ».
 
Or, de l’évaluation faite par l’entreprise canadienne elle-même, les travaux sont loin d’être achevés. Seuls le stade et les terrains d’entraînement, deux infrastructures de la première étape, affichent un taux de réalisation de 100% (voir tableau ci-dessous). Cette évaluation est en plus contestée par le Minsep qui affirme qu’aucune infrastructure n’a été réalisée à 100%.
 
Évaluation des travaux faite par Magil
1 infrastructure
 
1 infrastructure
 
Si les factures querellées d’un montant de 15,4 milliards de FCFA sont payées à Magil, la première phase engloutirait pratiquement tout le financement de 55,2 milliards obtenu de Standard Chartered Bank pour achever tout le complexe sportif. Cette phase devrait pourtant initialement coûter 27,9 milliards de FCFA. À cela, il faut ajouter deux prêts d’un montant total de 10,3 milliards de FCFA contractés en mars et juillet 2021 auprès de la CCA Bank.
 
Pour l’instant, le sort des 10,3 milliards de la CCA Bank, entièrement décaissés, reste à élucider. Le Minsep affirme qu’un prêt de 4 milliards de FCFA a été accordé à Magil. Mais, l’entreprise de BTP dément. Tout comme les parties ne s’entendent pas sur le montant des paiements déjà reçu par l’adjudicataire. Le maitre d’ouvrage parle de 42,9 milliards de FCFA, alors que MCC ne reconnait que 39,8 milliards.
 
Pour justifier un tel dépassement du budget de la première étape du projet, MCC affirme que la valeur prévisionnelle de son marché a été établi à l’aide des pourcentages d’avancement fournis par Piccini au Minsep. Et que l’avancement des travaux communiqué par son prédécesseur a été surévalué. « Le pourcentage réel d’avancement du projet était de 57,31% au lieu des 79% avancés par le précédent constructeur (ces chiffres sont étayés dans un rapport écrit et validé par Egis) », soutient le vice-président exécutif de Magil dans un courrier envoyé, le 9 janvier 2023, aux services du Premier ministre en réponse à la lettre du ministre des Sports et de l’Education physique.
 
Marché de dupes 
 
En d’autres termes, le marché de 54,8 milliards de FCFA visait à effectuer 31% des travaux restants. Mais, il fallait, en réalité, encore réaliser 42,69% des travaux. En suivant cette logique, on constate que le coût du marché aurait donc dû être porté à 75,5 milliards au plus. Et pourtant, si l’on en croit Narcisse Mouelle Kombi, Magil demande un budget supplémentaire variant entre 65 et 110 milliards de FCFA, pour achever la phase 2 du projet.
 
Ce qui porterait le coût du projet d’achèvement des travaux de construction du complexe sportif d’Olembe à au moins 119,8 milliards de FCFA et au plus 164,8 milliards. Une perspective qui salerait lourdement la facture définitive. Il faut dire qu’à ce jour, selon les pointages de la Caisse autonome d’amortissement (CAA), le gestionnaire de la dette publique, 175,6 milliards de FCFA (voir tableau ci-dessous) ont déjà été décaissés pour ce projet. À cela, il faut ajouter les charges fiscales, financières et même judiciaires qui incombent entièrement à l’État.
 
Montants déjà décaissés pour la construction du complexe sportif d’Olembe (en milliards de FCFA)
 
1 banque
 
En plus, pour la phase 2, on part de zéro, Piccini n’ayant pas engagé la construction de ces infrastructures. Qu’est-ce qui pourrait dont justifier que le coût de cette phase passe de 22,9 milliards de FCFA à un montant oscillant entre 65 et 110 milliards ? En réalité, le contrat conclu entre le Minsep et MCC transforme la construction de cette infrastructure sportive en un projet à coûts indéfiniment extensibles. En effet, de Piccini à Magil, on est passé d’un contrat classique à un EPCM (Engineering, Procurement and Construction Management -en français, Ingénierie, Approvisionnement et Gestion de la Construction).
 
« Il ne s’agit pas d’un contrat de construction, mais de prestation de service, dans lequel Magil accompagne le maitre d’ouvrage, le Minsep, dans l’exécution des travaux, en lui présentant chaque mois un décompte pour paiement accompagné de toutes les factures et de tous les justificatifs (prestations de services professionnels, travaux exécutés par les sous-traitants du Minsep, achat de matériel…) », explique Franck Matière dans son courrier du 9 janvier, adressé aux services du Premier ministre. Ce qui en fait « un contrat à coûts remboursables, et non un contrat à prix fixe et forfaitaire », soutient le vice-président exécutif de Magil.  
 
Du coup, « même sans production, le contrat permet de payer la mobilisation de l’entreprise », renchérit Narcisse Mouelle Kombi. En clair, MCC présente chaque mois à l’État des factures que le projet avance ou pas. Conséquence, plus la durée de réalisation s’étend, plus l’entreprise de BTP gagne de l’argent. Le contrat qui lie le Minsup à Magil ne contient pas un budget détaillé. Mais, comme on a pu le voir dans le marché de la construction de la pénétrante Est de Douala, pour un rôle d’assistance et de contrôle dont la pertinence est questionnée, l’entreprise canadienne peut se tailler près de 50% du budget du projet.
 
 
Investir au Cameroun