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Affaire Shakiro : L’inflation de la justice privée/populaire

L’affaire Shakiro me permet de revenir sur la recrudescence de faits de justice populaire dans notre pays.

Il s’agit de cette personne LGBT qui a été violemment agressée hier à Douala. Avant elle, c’est ce couple camerouno-suisse qui a été obligé de quitter le territoire nationale la semaine dernière suite à sa participation à une cérémonie de mariage coutumier à Akonolinga. Au-delà de ce qui peut être considéré comme faits divers, il y a une vraie inquiétude à avoir quant à la récurrence du « lynchage » dans notre société. Je me présente souvent comme libérale, c’est-à-dire comme étant une personne favorable aux libertés individuelles. De mon point de vue, Shakiro aurait la liberté de choisir son orientation sexuelle. Cela ne me choque aucunement parce que l’orientation sexuelle n’a aucune incidence sur le rendement de l’individu. Le problème qui se pose est en apparence une question culturelle pourtant, il s’agit d’une vraie dérive de l’Etat de droit. Non pas seulement dans le sens de l’application stricte de la loi en vigueur, mais dans le sens de la déliquescence des institutions qui l’incarne. Si la justice populaire domine, cela veut dire que les institutions de la justice sociale ne marchent plus. C’est de cela que j’aimerai discuter.
La justice privée/populaire suppose que chacun se fait justice à son niveau. Tout le monde crée et applique le droit à son niveau. Dans la rue, les motomen créent leurs lois et font la loi. Sur les réseaux sociaux et dans les médias, l’on assiste au lynchage médiatique de quiconque viole la loi des internautes et autres auditeurs/téléspectateurs. Dans l’administration, les fonctionnaires font la loi. L’on assiste au chantage administratif ou au blocage des dossiers. Dans la circulation publique, les policiers et autres routiers font la loi. Cela n’a rien à avoir avec la prévention ou la sécurité routière. Au tribunal, les magistrats font leur loi. C’est le cas des détentions abusives par exemple. Etc. Partout, c’est le Far West. Il y a de moins en moins l’Etat. Il y a de moins en moins le droit. Et c’est ce qui est inquiétant. Parlons-en !
Stabiliser la société
La vocation du droit est normalement de stabiliser la société. Toutefois, il peut arriver que le droit soit caduc. Dans son discours lors de la rentrée solennelle de la Cour Suprême du Cameroun le 22 février 2017, cette question préoccupait le Président MEKOBE SONE : « Il existe tout un chapelet de griefs développés par les ténors de la justice privée qui méritent d’attirer notre attention, nous invitent à une autocritique de nos manières de servir (…) En réalité, la justice privée interpelle à la fois le législateur et le corps judiciaire dans son ensemble. Elle invite le législateur à améliorer les lois pour les adapter à l’évolution de notre temps et aux réalités actuelles de notre société. Parfois, le temps use la loi et la vide de sa substance. (…) La loi doit donc s’arrimer aux aspirations profondes des citoyens. » Je crois que tout est contenu dans ce message du Président de la Cour Suprême. « La manière de servir » ne correspond plus aux aspirations des citoyens. C’est la cause principale des multiples dérives observées, au-delà de la simple question de l’application des dispositions pertinentes.
De vraies questions doivent être posées. La première est de savoir si la justice doit se mettre du côté de la victime ou du bourreau, des lésés ou des profiteurs, des plus faibles ou des plus forts, des minorités ou de la majorité, etc. En fait, qui est victime dans une affaire ? Qui est lésé ? Qui est le plus faible ? Qui représente une minorité ? Qu’est-ce qu’une minorité ?, etc. Nous avons-là, un réel modèle social à choisir et à assumer mais, en tenant compte que la vocation du droit est de stabiliser la société. Quelque fois, le droit permet de stabiliser l’ordre dominant. C’est ce qui fait dire que la justice a été toujours du côté des plus forts ou pour les vainqueurs. Ce sentiment d’impuissance devant la machine des plus forts ne doit pas perdurer dans notre société. Il alimente la justice privée/populaire.
Du point de vue de la démocratie, la justice devrait protéger les faibles et les minorités. Dans ce sens, on défendrait que la minorité LGBT soit protégée. Mais, toujours du même point de vue démocratique, un autre conflit est à résoudre : celui de la nécessité d’arrimer aux aspirations des citoyens. Et en la matière, la question sera de savoir si en 2021, l’homosexualité est acceptée au Cameroun. La réponse est NON. Que doit donc faire le législateur ? Doit-il se mettre du côté des minorités ou du côté de la majorité des citoyens ? Cette question n’est pas si simple à répondre dans un contexte africain où la majorité des intellectuels lutte contre la domination culturelle. Ce débat glisse vite en un débat de savoir si l’on est pour ou contre l’occidentalisation.
Conflits dans le l’application du droit et de la démocratie
Du point de vue judiciaire, le sacrosaint principe de rendre à chacun son dû peut être en conflit (c’est l'adage du jurisconsulte romain ULPIEN « Suum cuique tribuere »). Si vous êtes un libéral comme moi, vous ne devez pas rendre à un citoyen son dû contre l’intérêt d’un autre citoyen. Le juge applique le droit dans le respect du principe de proportionnalité. Il doit déterminer la gravité des faits et décider de l’opportunité d’appliquer ou non une disposition de la loi. Toutefois, si l’on observe l’inflation de la justice populaire, c’est parce que le citoyen n’a pas l’impression que la décision du juge punit convenablement la faute. Le juge est accusé de complaisance ou de corruption. Sinon comprendre que Shakiro qui sort de prison soit lynché(e) dans la rue ? Il convient pour les juges de tenir compte effectivement, comme le disait le Président de la Cour Suprême, des aspirations des citoyens en vue de stabiliser la société. Il appartenait au juge de sortir Shakiro de la société hostile à l’homosexualité. C’est ici que le mot « détention » prend tout son sens. Il ne s’agit pas, comme c’est actuellement le cas au Cameroun de réprimer, mais aussi et surtout de protéger. C’est en cela que le juge pouvait donner à chacun son dû : En rendant justice à l’un sans léser l’autre. En effet, même si la démocratie suppose le respect des libertés individuelles comme celle de Shakiro de choisir son orientation sexuelle, elle suppose aussi et surtout le respect des règles de droit dans une société comme le Cameroun.
La loi du Cameroun est-elle caduque en matière des droits humains ? Tout dépend de quel côté l’on se situe. Si l’on se situe du côté des citoyens camerounais, alors la réponse est NON. Si l’on se situe du côté de la domination culturelle occidentale (occidentalisation de l’Afrique), la réponse est OUI. C’est donc une affaire complexe qui oppose droits culturels et droits civiques. Sauf qu’en l’état, le droit culturel n’est pas contraignant. Par conséquent, c’est le droit civique qui prime. Comment faire évoluer les lignes alors ? Cela ne pourrait être que sous pression politique. Laquelle? Une  pression occidentale pousserait le politique à adopter une loi sur les personnes LGBT contre le gré des citoyens. C’est peut-être l’option en cours. Une pression des citoyens camerounais retarderait la décision du politique. Cette pression n’a même pas besoin d’être dans la mesure où les Vieux qui nous dirigent sont tous des conservateurs. On en est là. Mais, en attendant que les mentalités évoluent, il ne faut pas oublier que la fonction du droit ou de la politique, c’est de stabiliser la société. Bien qu’étant défenseur des libertés individuelles, je crois que le choix politique pertinent en 2021 est d’extraire les personnes LGBT de la société hostile à elles. Ce serait politiquement irresponsable de les obliger à y rester. A défaut de vivre reclus, je crois que l’exil est un choix raisonné. Dans l’histoire, beaucoup de révolutionnaires ont dû s’exiler, le temps pour leurs sociétés d’évoluer et de comprendre la cause.
Que les différents lobbies qui soutiennent les personnes LGBT les aident à partir un moment. Beaucoup d’activistes et autres contestataires ont pris l’habitude d’entrer en politique pour faire souffrir leurs propres peuples (supposés être des bénéficiaires) qu’is ne savent même plus quel doit être le sens de l’engagement civique. Cette question nous interpelle ! Le couple Camerouno-Suisse a eu raison de partir. Un jour, il pourrait revenir. Mais, pas maintenant

 

 

Dr Louis-Marie Kakdeu, PhD & MPA.