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Patrice Nganang: Il faut que les camerounais sachent la vérité

L'homme des lettres fait des révélations sur son séjour dans les geoles camerounaises.

Patrice Nganang

«Il faut que les Camerounais sachent la vérité de ce que j’ai vu et vécu»

L’homme de lettres fait des révélations sur son séjour dans les geôles camerounaises. Une histoire qui en dit long sur le monde carcéral au pays de Paul Biya.Ce qu’il retient, dit-il, est que dans notre pays il y’a un Etat dans l’Etat, un Etat insidieux, un Etat tribal qui se couvre des mascarades les plus grotesques, qui se couvre d’un théâtre des plus ubuesques, afin de cacher son côté tribalement mafieux. Pour l’Ecrivain approché par La Nouvelle Expression, en ce qui le concerne, l’Etat camerounais a agi en toute illégalité. Il affirme être très content du soutien américain qui l’a arraché de ses multiples griffes, mais surtout de la campagne supersonique, tant nationale qu’internationale qui en a fait de même. Poursuivi pour un post sur Facebook dans lequel il menaçait de mort le président Paul Biya. Après trois semaines de détention, Patrice Nganang a été libéré, mercredi 27 décembre, peu après 13 heures. L’écrivain a par la suite été conduit «par des policiers cagoulés et lourdement armés», selon son avocat, à l’aéroport international de Yaoundé-Nsimalen, d’où il a été expulsé vers les États-Unis.

Vous venez de vivre, disons-le ainsi, une histoire rocambolesque au Cameroun, interpellé puis incarcéré. La Nouvelle Expression aimerait savoir quelles ont été vos conditions de détention là où vous vous trouviez?

Décrire les conditions de mon incarcération va scandaliser plusieurs, car il y a plusieurs niveaux : d’abord le niveau juridique, qui est que pendant plusieurs jours, j’ai été arrêté en zone internationale, à l’aéroport de Douala, que j’ai été sevré de tout contact, tant avec ma famille qu’avec mes avocats, que j’ai été mené en prison sur des charges nouvelles qui sont toutes tombées comme du sable mouvant. Mais il y a aussi les conditions tribales, et je vais en parler ouvertement. Eh bien, parce qu’il faut que les Camerounais sachent la vérité de ce que j’ai vu et vécu, sachez que ceux qui m'ont arrêté à Douala et conduit à Yaoundé étaient tous béti, sauf un. Ils se parlaient donc en leur langue et j'ai seulement retenu le mot 'nkunkuma', car ils appellent Biya comme ça entre eux. La PJ où j'étais, la police politique donc, est à 90% Francophone - inutile de deviner la tribu là-bas, car un des commissaires principaux lui-même, et j'ai son nom, quand à bâtons rompus, a parlé de 'pouvoir bulu'. J'y ai rencontré seulement deux Anglophones, dont un qui était à Buea avec moi. Ceux qui m'ont accueilli à Kondengui le 13 décembre la nuit étaient tous béti. Y compris le régisseur ! Et se parlaient leur langue, carrément. Et je dormais au Quartier 11 à 90% béti, où ils m'ont mis eux-mêmes sans me demander mon avis, car je voulais soit le Quartier 1, soit le Quartier 3, pour être avec les Anglophones. Dans ma cellule immédiate, 5/7 prisonniers étaient Béti, mes cuisiniers étaient Béti et les deux amis que le régisseur m'avait choisi étaient Béti. Même mes deux gardes au TPI le 27 dont on voit un sur la photo de ma libération, l'autre étant le chauffeur, étaient Béti ! J'ai su que j'étais le prisonnier particulier de la tribu béti quand le 14, un garde, Bamileke lui, a essayé de s'imposer dans ma suite escortée. Il a été chassé par le chauffeur du régisseur ( j'ai son nom) comme un chien ! Comme un chien ! Et c'était en pleine cour du TPI ! Le garde-là est plus tard venu dans mon Quartier me chercher, et se présenter - par deux fois. J'étais donc littéralement prisonnier du village béti, sinon pris dans l'entonnoir Bulu ! C'est mon garde-prisonnier, chauffeur du régisseur, qui m'a dit la décision du juge longtemps avant que ce dernier ne la donne- la tribu avait déjà décidé, par un coup de fil, cellulaire, car n'étant pas de service ce jour, ni son collègue, ils avaient reçu l'ordre de me conduire au tribunal par téléphone, la nuit !

Qu’avez-vous vécu derrière les barreaux?

Ce que j’ai vécu, en premier, c’est la solidarité des prisonniers. Dans toutes mes cellules, ils m’ont littéralement accueilli les bras ouverts, et cela à partir de la PJ, et ici je parle des policiers déjà, qui ont montré un égard extraordinaire en mon endroit dès le moment où ils se sont rendu compte de qui je suis. Même à la cellule du parquet, où j’avais choisi d’être avec les autres, il a suffi d’une heure pour que tous les jeunes qui s’y trouvaient soient littéralement à mes pieds, et je dis, littéralement. Et puis, le sommet évidemment, c’était à Kondengui, où dès mon arrivée, c’était comme si les prisonniers m’attendaient. Et en premier les Anglophones qui ont commencé chaque jour à venir dans mon Quartier me rendre visite, une bonne dizaine par jours. Ils venaient tellement que j’étais obligé de rechercher des stratagèmes pour les rencontrer ailleurs, car je ne voulais pas que cela serve de prétexte pour m’envoyer au SED. Et puis bien sûr quand je suis allé à leur réunion journalière au Quartier 3, ils m’ont donné une standing ovation, littéralement. Je ne saurai oublier les membres de mon Quartier qui m’ont accueilli de même, c’est-à-dire de manière miraculeuse ! Un exemple : Atangana Mebara, le ministre et secrétaire général (ex Sg, ndlr) à la Présidence qui est incarcéré à Kondengui a quitté sa cellule, pour venir me rendre visite dans la mienne et nous avons longtemps causé. Il faut voir comment tout mon Quartier était en mouvement ! Les conditions de mon départ de Kondengui sont elles aussi épiques, car la route était barrée ; c’est le régisseur de la prison qui orchestrait les mouvements dehors, avec le secrétaire d’Etat aux affaires pénitentiaires, et bien sûr au téléphone plusieurs ministres. Le tout a débouché sur le convoi présidentiel qui m’a mené à l’aéroport de Nsimalen. Une manière de dire que ce que j’ai vécu est si extraordinaire que j’ai de la peine à le décrire, mais les médias, tant sociaux que télévisuels, ont fait des images vidéo qui présentent bien de ces scènes.

S’il fallait revenir sur le film de votre arrestation, votre séjour en prison, les différentes audiences au tribunal, votre libération contre toute attente, la prise de votre passeport camerounais, votre expulsion, que diriez-vous?

Je dirai que l’Etat camerounais a agi en toute illégalité, et je suis content, très content du soutien américain qui m’a arraché de ses multiples griffes, mais surtout de la campagne supersonique, tant nationale qu’internationale qui en a fait de même. Car il faut se rendre compte que l’instrument le plus important qui scellait mon destin c’était le téléphone cellulaire, les ministres et surtout le Président de la République qui ont orchestré tout cela, donnant leurs instructions toujours par téléphone, et cela devant moi, littéralement, instructions qui étaient toujours exécutées dans la nuit, tant la fouille de mes bagages, par le directeur de la Police Judiciaire et son staff de sous-directeurs eux-mêmes, dans le bureau du directeur même, tant mon transfert du parquet à Kondengui, que l’instruction qui a fixé mon jugement du 19 janvier qui était pourtant fixée par décision du juge, au 27 décembre, ce qui est déjà en soi une chose unique dans notre pays. L’importance du téléphone cellulaire dans la gestion du destin des Camerounais ne m’est jamais autant apparue que durant les jours de mon incarcération, car il fallait voir comment les fonctionnaires étaient désaxés toutes les fois où je refusais d’accepter les décisions qu’ils avaient reçues par téléphone, par exemple, être auditionné sans avocat, par exemple refuser de signer un papier infâme, ou autre. C’était la panique littéralement, car alors ils se rabattaient sur le téléphone, avec espoir d’avoir encore au bout du fil le ministre donneur d’instructions !

Comment vous-sentez-vous?

Pas encore bien en réalité, car j’attends les résultats des examens médicaux. Il faut dire que l’accueil que j’ai reçu dans les différences cellules où j’étais, la PJ, le Parquet et Kondengui, ne me fait pas oublier, et ne devrait pas me faire oublier que j’étais un prisonnier quasiment tribal, même si cela était couvert sous un drap présidentiel, quasiment rocambolesque. Jamais je n’ai été mis aussi clairement devant la brutalité de l’Etat camerounais, et en même temps devant sa capacité à la mascarade. C’est la mascarade qui est visible par tout le monde ; le fait par exemple que j’étais toujours seul dans la voiture qui me menait aux décisions de justice, un véhicule blindé plusieurs fois, avec des gardes super-armés, le fait que j’avais un traitement présidentiel, quasiment, mais cela cache le sombre de l’entonnoir tribal qui m’avait pris dès l’aéroport de Douala, et qui ne m’a lâché que lorsque, à l’aéroport de Nsimalen, le directeur de la PJ, le dernier Camerounais que j’ai vu, m’ait remis mon passeport en me souhaitant bon voyage. Je lui ai alors dit que je reviendrai, et je compte bien le faire quand le régime de Biya va tomber, car le Cameroun c’est mon pays.

Que retenir pour l’avenir ?

Ce qu’il faut retenir c’est que dans notre pays il y a un Etat dans l’Etat, un Etat insidieux, un Etat tribal qui se couvre des mascarades les plus grotesques, qui se couvre d’un théâtre des plus ubuesques, afin de cacher son côté tribalement mafieux. Il faut retenir cela, car c’est dans les profondeurs de l’Etat tribal que les crimes les plus odieux sont commis, les empoisonnements, par exemple, que les solidarités les plus surprenantes sont élaborées, que les alliances les plus solides se callent. Mais surtout il faut savoir que l’arme fondamentale de la tyrannie qui nous a pris en otage et m’a envoyé en exil est qu’elle détruit toute forme de solidarité, pour laisser chacun seul devant son destin, seul, dans l’impossibilité de bâtir les amitiés qui comptent, et les coalitions qui sauvent. Or, comme nous savons, un être seul ne peut pas vaincre une tyrannie, celle-ci se défait en collectif.

Quel message pourriez-vous adresser aux jeunes camerounais en ce début d’année 2018 qui s’annonce rude diront certains ?

Il faut qu’ils comprennent que seul l’Amour defaira la tyrannie, et que nous serons sauvés par le bon cœur. Il faut que les jeunes sachent que c’est à eux que revient la tâche de libération de notre pays, et que celle-ci est déjà mise en branle. De ce point de vue, ils sont véritablement chanceux, et peuvent même sourire en se mettant à la tâche. Il n’y a en effet rien de plus beau que d’œuvrer à la libération de son pays, que de participer à la tâche de nettoyage de trente ans de mauvais cœur qui s’est installé au palais d’Etoudi, et dont les métastases se sont incrustées dans les veines de la population. Les jeunes doivent donc prendre cette tâche de leur libération avec joie, et avec haleine haute, car c’est ainsi seulement que demain sera beau. Ici les Anglophones leur montrent un exemple unique de courage et de victoires. Après tout, l’avenir leur appartient.

© Entretien mené avec Linda Mbiapa, La Nouvelle Expression